Cleo avait beaucoup travaillé ces dernières semaines. Les rares moments de liberté qu’il s’était accordé, il les avait passé en compagnie de son fils. Sa vie sociale, par conséquent, était pour ainsi dire inexistante. Le jeune homme se souvenait à peine de la dernière fois où il était sorti avec des amis, ni même du prénom de la dernière fille qui avait partagé son lit. Les femmes ? Ces bijoux se faisaient bien trop rares dans sa vie –mais n’en était-il pas l’unique fautif ? Notre père célibataire, maître de la finance, semblait s’être désintéressé de la gente féminine. Sa rupture avec Lucy lui avait laissé un goût amer dans la bouche et une plaie béante au fond de la poitrine. Les relations qu’il avait entreprit depuis n’avait mené nulle part et il en était l’unique responsable. Toutes ses conquêtes n’étaient pas forcément dignes d’intérêt, c’est vrai, mais certaines s’étaient pourtant détachées du lot, elles avaient piqué la curiosité de notre beau brun qui les avait pourtant laissé filer, par peur de s’attacher. Résultat des comptes ? Cleo était toujours célibataire. Il ne voyait plus ses amis, passait rarement du temps avec ses sœurs et en toute honnêteté, il commençait à se sentir seul. « Salut Maman » s’exclama-t-il lorsque Michelle décrocha (enfin) le téléphone. « Comment vas-tu ? » Sa mère lui raconta sa mésaventure au supermarché ou comment une affreuse grand-mère l’avait agressé. Cleo l’écouta patiemment, s’amusa légèrement de la situation pour finir par en arriver à la raison de son appel. « Je voulais savoir si ça te dérangerait de garder Liam un peu plus longtemps ? … Une nuit, grand maximum. Je n’ai pas eu une minute à moi récemment et j’aurais bien besoin d’une soirée pour décompresser. Non, je n’ai rencontré personne ! Joe ! Je compte passer la soirée avec Joe ! » Sa mère soupira. Elle se faisait beaucoup de souci pour lui et elle aurait vraiment aimé qu’il trouvât une petite-amie. Une jeune femme douce et généreuse, aimante aussi. Une fille respectable qui pourrait les rendre heureux, lui et son fils. « D’accord ! Je viendrai le chercher demi-midi ! » Michelle lui proposa alors de déjeuner avec eux. Cleo leva les yeux au ciel. « Si tu veux. Merci maman. Bonne soirée et embrasse-le pour moi ! » Sur ces paroles, il raccrocha. Joan ? Elle allait sûrement se réjouir de dîner avec son frère. Ils n’avaient pas vraiment eu l’occasion de parler et le jeune homme était convaincu qu’elle avait plein de choses à lui raconter. Une fois qu’il eût bouclé le dossier sur lequel il planchait depuis des heures, il passa un coup de fil à sa sœur qui accepta immédiatement son invitation. Censé la retrouver deux heures plus tard, Cleo s’empressa de réserver dans un petit restaurant (dont le propriétaire était un ami de la famille) et fila se préparer.

Un peu plus tard la soirée.
« Salut ma belle ! Comment ça va ? » s’exclama-t-il en arrivant à hauteur de sa sœur. « Tu m’as manqué ! » poursuivit-il en la serrant dans ses bras. Puis, comme il faisait très froid, il l’escorta à l’intérieur. « J’ai réservé une table pour deux personne, au nom d’O’Gara ! » La serveuse lui sourit et les conduisit à leur table. « Je ne savais pas où aller et comme je m’y suis pris un peu tard, j’ai avisé ! »

Joe se faisait beaucoup de souci pour son « frère ». Parfois, elle insistait tellement avec ses histoires de petites-amies qu’il aurait même voulu l’envoyer baladé, mais il se ravisait toujours, conscient qu’elle faisait ça pour son bien. En revanche, ce que les femmes de sa vie ne semblaient pas comprendre, c’est qu’il n’avait besoin de personne et surtout aucune envie de refaire sa vie. Comme tout homme, il lui arrivait parfois de goûter aux plaisirs de la chair, mais pour ce qui était des sentiments, il avait déjà donné. Lucy lui avait brisé le cœur en partant, il était donc normal qu’il soit réticent à s’engager, non ? Pourquoi refusaient-elles toutes de comprendre ? Cleo sourit lorsque Joan lui dit qu’elle était contente qu’il prenne enfin du temps pour lui. « J’ai fini par réaliser que noyer mes soucis dans le boulot n’était pas une solution ! J’imagine qu’il est préférable que j’affronte mes problèmes au lieu de les fuir… Tu vas me dire pour certains, ça fonctionne particulièrement bien » lâcha-t-il les dents serrées. Le visage de Joan s’assombrit subitement, car elle savait parfaitement à quoi, ou plutôt à qui, il faisait référence. Heureusement pour chacun d’entre eux, la serveuse vint les interrompre en leur proposant de boire un apéritif. La brunette s’empressa de commander une vodka pomme, puis elle commença à fixer son frère d’une manière qui le mit légèrement mal à l’aise. Cleo savait parfaitement ce qu’elle avait en tête, mais il n’était vraiment pas d’humeur. Toutefois, il était forcé de reconnaître que cette jeune femme était tout à fait charmante, en plus d’être intéressée par sa petite personne. Comment pouvait-il en être certain ? Pour commencer, ce n’était pas la première fois qu’il venait ici. Ensuite, certains regards ne trompaient pas. « Je prendrai un whisky, double. Merci Nancy » répondit-il et la jeune femme rougit au simple fait qu’il se soit souvenu de son prénom. « Je sais ce que tu as en tête » ajouta-t-il à l’intention de Joe, une fois la serveuse disparue. « Mais je t’arrête tout de suite, je ne suis pas d’humeur ! Alors, je sais ce que tu penses, cette fille est charmante, d’ailleurs, je suis tout à fait d’accord avec toi. Elle te semble sympathique et elle l’est effectivement –mais je n’ai aucune envie de tenter quoi que ce soit avec elle » dit-il, catégorique. « Loin de moi l’idée de passer pour quelqu’un de prétentieux, mais je sais que cette fille est folle de moi. Ça dure depuis le lycée, mais… j’ai pas envie de m’engager et… Nancy est une chic fille, je ne veux pas lui donner de faux espoirs, tu comprends ? » Joe leva les yeux au ciel. « Parlons plutôt de toi et de la manière dont tu t’es retrouvée dans cet état ! Je ne te savais pas aussi maladroite… » Cleo n’avait pas la moindre idée de la raison pour laquelle sa sœur s’était retrouvée en béquilles. Sa mère lui avait seulement dit qu’elle avait une entorse à la cheville, mais elle était restée très évasive à ce propos, ce qui n’avait fait qu’attiser la curiosité du jeune O’Gara.

Joan était passée maître dans l’art de changer de sujet, mais ça ne fonctionnait pas avec Cleo. Contrairement à ses parents (qui s’étaient laissés avoir plusieurs fois), il la connaissait trop bien pour tomber dans le panneau. La différence entre eux et lui, était qu’il avait usé de ce stratagème des dizaines de fois –sans compter qu’il savait parfaitement bien comment fonctionnait sa sœur. Consciente qu’elle ne pourrait pas tourner autour du pot plus longtemps, la brunette consentit à cracher le morceau. Elle lui expliqua alors qu’elle était tombée, totalement par hasard, sur un jeune homme qui avait beaucoup compté dans sa vie. Ils n’en avaient jamais parlé ouvertement, car Joan était toujours restée très discrète sur sa vie privée, mais Cleo avait toujours su qu’Eliott occupait une place importante dans son cœur. Puis, la sœur du jeune homme était décédée et tout avait changé. Du jour au lendemain, les deux jeunes gens avaient cessés de se voir et on n’avait plus jamais entendu parler de lui. Cleo ne put s’empêcher de se pincer les lèvres en entendant toute l’histoire. Même si elle refuserait sans doute de l’admettre, Joe avait été bouleversée par cette rencontre –c’était évident.  « Tu vas sans doute trouver ma question stupide, mais… qu’est-ce que ça t’as fait de le revoir ? » demanda-t-il sans même prendre la peine de saisir la perche que sa sœur lui tendait. Non, il ne voulait pas changer de sujet. A quoi bon tergiverser sur son travail alors que, de toute évidence, elle avait besoin de parler d’Eliott ? Qu’on se le dise, Cleo n’était pas du genre à forcer la main aux gens –mais quand il s’agissait du bien être de ses sœurs, il transgressait parfois la règle. Après tout, ça partait d’un bon sentiment. « T’es pas obligée de me répondre si tu n’en as pas envie, mais j’te connais Joe… J’ai bien vu que ça t’avait perturbé et… il y a de quoi… » Eliott lui avait fait beaucoup de peine… Joan avait souffert par sa faute –et même s’il traversait une période difficile à l’époque, Cleo n’avait jamais cautionné ses actions. Au fond, il n’avait rien contre lui, mais il avait fait du mal à sa sœur et il s'en méfiait désormais comme de la peste, juste par principe.