Une adresse. Voilà à peu près tout ce que j'avais en poche. Et peut-être un peu de courage, à moins que celui-ci ne s'évapore sur le chemin. J'attendais ce jour depuis des années - qui avaient plutôt ressemblé à des siècles, à vrai dire - et pourtant, maintenant qu'il fallait y faire face, je perdais tous mes moyens. Qu'était-on censé dire à un fils que l'on avait abandonné et que l'on avait choisi, aujourd'hui, de revoir ? Il n'y avait pas de phrases toutes faites, ni de mode d'emploi, à mon grand dam. Dès lors, la victoire devenait d'autant moins accessible. Qu'est-ce qui l'empêchait de m'envoyer au diable ou même, plus carrément, de me claquer la porte au nez ? Rien.

J'entamai ma tasse de café en pianotant sur la table avec mes doigts. J'avais mal partout. J'étais tellement tendue que chacun de mes muscles était douloureux. La seule chose insignifiante qui me réconfortait vaguement à l'heure actuelle, c'était ce bruit de fond vague émis par la radio qui fonctionnait, pour ainsi dire, en permanence, dans ce petit appartement trop vide lorsque Joshua ne s'y trouvait pas. Je trempai mes lèvres dans le café noir et les y brûlai. Je ne le remarquai même pas. C'était bien peu de chose en comparaison à l'anxiété qui me nécrosait de l'intérieur. Je soupirai longuement, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'air dans mes poumons. Je finis ma tasse et me levai, déterminée à me lancer. Définitivement. J'avais parcouru trop de chemin pour me résigner maintenant. Au pire, je me prenais un vent. Mais au mieux, j'ouvrais une porte et je ne pouvais pas repartir sans savoir si ça aurait pu être possible.

J'enfilai mon imperméable crème et saisis les clefs de la poubelle roulante qui me servait de voiture. Je descendis les marches de l'escalier avec précaution tellement mes jambes flageolaient fébrilement. Je montai à bord de mon véhicule et enfonçai ma main dans la poche de mon jean. J'en sortis le maigre bout de papier qui allait apporter des réponses à toutes mes questions, celui sur lequel j'avais indiqué l'adresse de Jeffrey, d'une main tremblante. Je la consultai une dernière fois avant de démarrer.

Quelques minutes plus tard, je me garai le long d'un trottoir et je quittai mon véhicule. Je consultai les numéros gravés sur de petites plaques vissées sur les façades des maisons avant de tomber sur celui qui m'intéressait. Mon coeur manqua un battement. Pendant un instant, j'eus envie de faire demi-tour, de partir en courant,... Puis les mille questions que je m'étais posée ces dernières années me revinrent à l'esprit : me ressemble-t-il ? Qu'est-il devenu ? A-t-il une petite amie ? Fait-il des études ? Sans plus réfléchir, je levai le bras et mon index s'abattit lourdement sur la sonnette, dont je perçus l’écho depuis l'intérieur de la maison. Mes membres se raidirent. Et merde ! Qu'est-ce que j'allais bien pouvoir dire, au juste ?