RACONTE TON HISTOIRE ⊹
Tout le monde sait que quand on met un pied dans l'aventure de la vie, la seule issue c'est la mort. Et certaines personnes flirtent avec elle bien tôt, de leur plein gré ou non. Survivre est un fait mais vivre est un art. Et moi, cartésienne comme je suis : je vis des faits. On ne choisit pas les faits. La vie nous les impose, c'est tout. On ne te demande pas ton avis quand on t'annonce à 6 ans que tu es surdouée, que tu as une mémoire eidétique et que de ce fait, tu retiens tout ce qu'on te dit, tout ce que tu lis, tout ce que tu vois, tout ce que tu sens et ressens, absolument tout. On te demande rien quand à 14 ans, une poignée d'érudits en blouses blanches t'annoncent que tu es malade. Malade. Quel horrible mot. Le problème c'est que tu leur pose une colle. On te dit que tu es malade mais qu'ils ne savent pas ce que c'est. La seule chose qu'ils peuvent te dire c'est que tu vas mourir. Et ils sont si fiers de savoir te dire au moins quelque chose sur ta maladie. Génial. Je vais mourir. Ça tombe bien, je n'ai pas demandé à vivre ou plutôt dans mon cas à survivre. Je ne serais plus un poids pour personne, ni même pour moi. Sauf qu'il y a un MAIS ! Ce fameux "Mais" : ils ne savent pas te dire quand. Je serais donc condamnée à souffrir pour une durée indéterminée. A croire que cela ne suffisait pas que l'on me traite de monstre de foire à cause de, comme le disait mes parents, "mon intellect supérieur". Merci, j'en ai assez bavé. Ce n'est pas une vie, j'espère que j'en aurais au moins une belle de mort ...

Les gens parlent, parlent et parlent. Et moi je retiens tous ce qu'on dit. Leurs moindres mots, leurs moindres gestes dégradants. Tout ça reste gravé en moi, comme une blessure, une profonde cicatrice dans ma chair. Tout ça, c'est moi. Toutes ces égratignures. Je pense que je n'ai jamais eu vraiment d'amis. Je passais mes journées seule, avec mes livres. J'pense bien qu'il y a des gens qui en naissant, sont déjà condamnés au pire. Je sais que je ne suis pas la seule mais j'ai déjà voulu en finir. "La seule issue c'est la mort". Je m'auto-mutilais. Et ça aussi ça fait peur. C'est tabou, et pourtant vous n'imaginez même pas l'ampleur de ça peut prendre. La pression, l'école, la vie, c'est à tout ça que la jeunesse veut mettre fin. Quand les plus faibles ne sont pas tués par la société, ils se tuent eux-mêmes.

Et puis un jour, on te dit que tu es malade et qu'on sait rien y faire. Y'a des jours où tu sauras même pas te lever pour aller en cours. Y'a des jours où tu te mettras à saigner des oreilles ou du nez comme ça pour aucune raison. Le seul problème, c'est que les gens posent des questions. Les gens colportent des rumeurs et même si tu montres que rien ne te touche, tu fais tout pour fuir ce monde, pour les fuir eux, t'en éloigner, tu ne veux pas en entendre parler. Mais ça te poursuivra. Parce que c'est toi, et on ne sait pas se fuir n'est-ce pas.

Le monde te voit comme un monstre, et les médecins qui pour combattre la maladie, tendent à tuer le patient plutôt qu'à s'attaquer la maladie. La médecine devient folle. Et tes parents aussi te voient comme un poids. Toi le monstre, c'est toi qui à survécu alors que ton frère jumeau est mort à la naissance. Ils te tiennent pour responsable au fond. Parce que si lui avait été vivant, il aurait été parfaitement normal. Il ne leur aurait pas couté un bras, en médecins et spécialistes. Il ne leur aurait pas attiré les regards du voisinage. Et tu finis pas te considéré comme un monstre aussi. Parce que tu vois à travers leurs yeux.

Un beau jour, toi la petite dublinoise, si attachée à sa ville natale, tu décides de tout quitter. Tu es assez intelligente pour t'en sortir, tu sauras gagner de l'argent, tu en as déjà de côté d'ailleurs. Et puis, tu as atteint ta majorité, alors t'enfuir semble la meilleure solution. Essayer d'oublier que tu es malade, un monstre aussi. Tenté d'apprendre à vivre plutôt qu'à survivre pour la durée indéterminée qu'il te reste. Apprendre. Rencontrer. Faire ce qu'on est censé faire à cet âge là.

Puis tu atterris dans une petit ville irlandaise. Et ton destin est scellé. Tu ne repartiras plus, tu ne peux pas et pourtant l'air est malsain ici. Ça c'est mon histoire.