Il y a ce petit quelque chose qui te fait soupirer. Caressant doucement la peau de ta conquête du soir, tu repenses à comment tout cela est arrivé. Ce n’est pourtant pas dans tes habitudes de te laisser aller comme ça. Toi, qui fais toujours attention aux autres, qui fais tout son possible pour ne pas blesser, heurter la sensibilité de quelqu’un. Bien sûr, cela ne marche pas toujours. Voire presque jamais. Le pire, c’est que tu ne fais pas exprès. Ce n’est pas voulu. Mais c’est comme ça.  

Elle se retourne, te sourit un peu, et t’embrasse sur la joue. Tu la repousses gentiment, t’excusant. C’est ta faute. Elle n’y est pour rien. Ce n’est pas elle qui a décidé d’aller dans ce bar, de boire jusqu’à que tu ne tiennes presque plus debout. Certes, c’est elle qui a décidée de te raccompagner jusqu’à chez toi, mais c’est toi qui lui a sauté dessus. Qui a commencé à l’embrasser, à lui enlever son petit haut, à dégrafer son soutien gorge. C’est elle qui s’est laissée faire, qui n’a pas répliquée, qui avait l’air d’adoré ça. Mais non. Non, et non, c’est définitivement ta faute. Tu ne dois pas la blâmer. Elle esquisse un petit sourire triste et acquiesce, comprenant. Elle te dit que ce n’est pas grave, qu’elle a l’habitude d’être traité comme ça. Et c’est là où tu t’en veux. Tu voudrais t’excuser, lui dire que si elle veut, elle peut rester un peu plus longtemps. Mais tu sais qu’il ne faut pas. Que ce n’est pas bien. Tu risquerais de la blesser encore plus avec ta gentillesse. Alors tu ne fais rien. Tu scrutes son corps nu qui est recouvert par les habits de la veille. Elle remet ses bottines et te salut d’un geste de main avec un sourire, et s’en va. Tu soupires une seconde fois, te rallongeant dans le lit. Tu savais que c’était une mauvaise idée de revoir tes parents hier. Cela t’avait rappelé tellement de souvenir.

Tu avais une famille banale. Une famille de « monsieur tout le monde ». Tu avais une mère et un père aimant. Ils s’occupaient de toi, comme tous les bons parents qui aimaient leurs enfants. Ta mère t’avait nommé « Tallula ». Drôle de prénom, pas vrai ? Elle l’avait pris de la chanson éponyme de son groupe français qu’elle aimait tant. Elle s’en fichait si c’était bizarre. Elle s’en fichait si ça faisait fille. Elle aimait ce prénom, t’aimait, tu te devais de porter ce prénom pour son amour. Et puis, comme elle l’avait si bien expliqué à ton père « ce n’est pas le prénom qui fait la personne ». Si seulement les personnes pensaient réellement comme ça… Mais tout se passait bien. Personne ne faisait de remarque à l’école, tout allait bien à la maison. Mais évidemment, parce qu’il faut toujours un malheur dans la famille, le malheur fut ton petit frère. Il est arrivé alors que tu n’avais que cinq ans. Ce n’est pas beaucoup. A cet âge là, on ne comprend pas quels problèmes peuvent engendrer un enfant. Ou plutôt, un second enfant. Tes parents devaient travailler d’arrache pieds pour pouvoir s’occuper de vous deux, afin que vous ayez une éducation décente. Mais ils partaient tôt, et revenaient tard le soir. C’était ta tante qui t’emmenait à l’école, qui revenait te chercher, et qui s’occupait de Killian lorsque tu étais à l’école. Alors dès que tu rentrais, tu allais t’occuper de ton petit frère. Tu ne voulais pas que ta tante en fasse trop pour vous. En quelque sorte, tu ne voulais pas « lui en devoir une » comme disait ton père. Parce que tu ne savais pas comment tu pouvais remplacer ce qu’elle faisait pour vous à ce moment là. Donc tu avais décidé ça ; tu t’occuperais de ton frère quand tes parents ne seraient pas là. Du matin quand ils partaient, à l’heure où tu rentrais de l’école et qu’ils ne seraient toujours pas rentré.

Et cette décision dura durant plus de douze ans. Quand ton frère fut assez grand pour s’occuper de lui-même. Quand ta mère rentrait de plus en plus tôt, jusqu’à dire que désormais elle dise qu’elle viendrait vous chercher. Mais toi, tu n’en avais plus besoin. Tu avais dix sept ans. Dix sept putains d’années. Et pendant tout ce temps, tu avais largement eu le temps de t’occuper de toi tout-seul, comme un grand. Tu étais trop vieux, et elle te traitait encore comme un enfant. Elle ne t’avait pas vu grandir ; fort étonnant, étant donné qu’elle n’était jamais là, n’est-ce pas ? Mais tu ne t’en étais jamais plain. Au fur et à mesure, tu avais appris à aimer t’occuper de ton frère. Lui apprendre la vie de tous les jours. C’était devenu la seule petite chose de bien dans ta vie, durant tes années collège.  Car oui, ta vie avait été réellement un enfer à partir du CE1. Les enfants grandissaient, commençaient à comprendre des choses. Comprendre que « Tallula » comme prénom pour un garçon, c’est bizarre. Ça sonne fille. Combien de fois t’es- tu fais insulté de fille raté ? Combien de fois les garçons ont profité de ton petit corps fébrile pour te frapper à partir de la 6ème ? Oh tellement de fois. Tellement. Mais tu tenais bon. Tu ne baissais pas les bras. Tu ne répondais pas à leurs insultes. Oh, non, tu ne voulais pas leur faire ce plaisir. Jamais.

Pourtant, ce jour là, le lendemain après l’annonce de ta mère, tu avais craqué. Tu avais répondu à un pauvre petit seconde, qui, voulant se la jouer devant ses copains t’avait insulté, une nouvelle fois, comme tous les autres. Mais tu avais craqué. Tu ne te souviens plus vraiment de ce jour là. Tu sais juste que quelque chose n’allait pas. Que tu sentais comme quelque chose qui allait changer ta vie entière. Le fait que ta mère reprenne son véritable rôle de « mère », abandonnant celui de « femme qui se bat pour sa carrière » t’avait plus affecté que ce qu’il n’y paraissait. Alors il y avait cette pulsion dans ton corps. Cette envie d’être lâché, comme une bête qui ne demande qu’à être libéré pour mieux mordre. D’être manipulé par les sentiments. Par ce tourbillon dans le cœur et dans la tête. Qui disait de mettre un terme à tout ça. Que tu n’avais pas besoin de ça maintenant. Tu ne sais plus trop comment, ni pourquoi exactement, tout était tellement flou dans ta tête à ce moment, mais ton corps à rencontrer celui de ce seconde, et il fut ramené à l’infirmerie, ayant presque perdu conscience après tous les coups que tu lui avais infligé.

Après tout, depuis l’époque du collège, tu avais bien grandi. Tu étais presque devenu un homme. Tu avais fait du sport, pour te muscler un peu. Pour « essayer » de voir ce que ça donnait, d’avoir l’air ne serait-ce qu’un peu menaçant. Juste pour voir. Puis, les élèves de ta classe avaient arrêté de te chercher. Au contraire. Ils avaient commencé à te parler, comme si tu avais toujours fait parti de l’un des leurs. Quelle belle ironie du sort. Tu n’en revenais pas. C’était tellement… Hypocrite. Tous ces faux-semblants, toutes ces choses qui semblaient avoir été oubliées après toutes ces années… Mais toi, tu n’avais pas oublié. Tu avais pourtant décidé de pardonner. Car tu savais pertinemment que, si tu ne faisais pas un pas en avant comme eux l’avaient fait, alors rien ne progresserait jamais. Alors tu avais pardonné. Tout était effectivement « oublié ». Tu t’étais mis à sortir avec des filles. A expérimenter « l’amour ». Puis toutes ces relations furent stoppées par le bac. Par les études. Tout ça avait pris la place de tes deux seules années de véritable « adolescence ». Puis vint le « que voulait vous faire plus tard ». Et tu te décidais pour l’enseignement. Avec des petits, bien sûr. Donc dans les écoles primaires. Tu avais fait quelques stages dans certaines écoles de ta ville, avant de te décider pour cela. Et il n’y avait rien à y redire ; tu ressentais la même fierté que lorsque tu t’occupais de ton frère. C’était différent, totalement différent même, mais tu adorais ça. Et puis, ces petits bouts de chous étaient fort sympathiques, pour certains. Ils te redonnaient le sourire. Te donnaient du baume au cœur. Alors, oui, tu optais pour ça.

Tout se passa pour le mieux à la fac. Il n’y avait pas grand-chose à en dire ; tu bossais comme un fou pour réussir, tu prenais parfois du temps avec tes amis. Alors tu sortais en boite, tu faisais un ciné. Tu appris l’amour entre même sexe. Tu trouvais ça bizarre, étrangement adorable, puissamment électrifiant, mais malheureuse trop dur à vivre. Tu l’aimais pourtant. Tu en étais tellement persuadé. Tu étais trop passionné pour lui, a-t-il dit. Mais bon, cela avait été une bonne expérience, que tu n’avais certainement pas détesté, loin de là. Mais tu revins tout de même vers les femmes ; plus faciles, moins compliquées, tu finissais par avoir la technique. Et plus que ça ; tu y rencontras celle qui devint ta femme quelques années plus tard, une fois tes études terminées. Tu pensais réellement que ce serait avec elle que tu ferais ta vie, avec elle que tu aurais des enfants. Tu adorerais tellement en avoir. Et elle ne semblait absolument pas contre ça. Alors une année passa après votre mariage. Puis deux. Puis vint le moment où la question des enfants se posait. Il n’y a pas eu de difficulté, tu étais d’accord, et elle aussi. Vous avez essayé. Pendant plusieurs mois. Mais cela ne marcha jamais. Des tests furent passés. Chez elle, tout allait bien. Chez toi ; beaucoup moins. Tu étais stérile. Ce n’était pas psychologique, mais réellement physique. Alors il n’y avait rien que tu ne pouvais faire. Et elle, elle refusait catégoriquement les méthodes scientifiques pour avoir un enfant. Ne pouvant répondre à son attente d’avoir des enfants, elle décida de divorcer. Elle te dit qu’elle ne t’aimait pas assez pour pouvoir vivre sans fonder une vraie famille avec toi.

Et elle partie. Te laissant seul dans cet appartement en banlieue de Dublin que vous aviez acheté. Quelques mois plus tard, l’école dans laquelle tu travaillais ferma ses portes pour rénovation complète. C’était des bâtiments très vieux, alors ils se devaient de rénover de temps en temps. Tu avais l’impression que tout te tombait dessus en même temps. A ce moment là, tu décidas de déménager. Les écoles que tu connaissais n’avaient pas besoin de plus d’enseignants, et tu avais envie de changer d’air. C’était un peu dur de vivre ici, maintenant. Tes parents n’objectèrent pas à ta demande. Ton petit frère non plus, même s’il te demanda ta nouvelle adresse, ainsi que ton adresse mail et ton skype. Il n’en avait pas besoin avant, alors il ne t’avait pas demandé. Mais maintenant, c’était presque une nécessitée pour lui. Tu étais son grand-frère adoré. Et toi tu l’aimais. Énormément. Tu lui donnais tout ça, et partais ensuite assez rapidement. En quelques semaines, tes affaires étaient pliées, tout était mis dans un camion de déménagement, et l’appartement fut de nouveau à vendre. Destination ? Un petit trou bien paumé d’Irlande –comparé à Dublin, évidemment-, plutôt loin de chez toi, là où personne ne te connaîtrait, là où tu ne connaîtrais personne.

Et cela fait maintenant un an que tu vis ici. A Sligo. Tu as un travail. Une vie assez stable. Sauf si tu passes tes aventures d’un soir, qu’ils soient homme ou femme. Tu soupires. Te lèves, et enfiles ton caleçon. Cette femme était mignonne. Peut être que quelque chose d’un peu plus concrets aurait pu se passer entre vous. Mais tu es stérile. Tu n’aurais pas pu lui donner une famille aimante. Tu n’aurais jamais pu réaliser le rêve de quasiment chaque femme. Alors tu te satisfais uniquement de ces relations sans lendemains. Et tu as trente et un ans. Tu as trente et une putains d’année. Aucune relation stable. Juste une vie monotone et ennuyeuse. Mais ça te convient. Tout du moins, pour l’instant.

Bienvenue à Sligo

Une histoire juste magnifiquement bien rédigée .

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